vendredi 13 janvier 2017

Religion — Pourquoi le cerveau (de progressistes ?) refuse-t-il de changer d’opinion politique ?

Une étude californienne montre que lorsque ses opinions politiques sont remises en question, le cerveau d’un échantillon de quarante Américains qui se décrivent comme progressistes (« liberals ») déclenche une réaction de résistance, de défense, comme s’il s’agissait d’une croyance religieuse.

Albert Einstein était l’un des physiciens les plus importants de notre histoire. Ses prédictions scientifiques ont résisté à 100 ans de défis scientifiques. Sa pensée (et celle d’autres savants comme les trop oubliés Lorentz et Poincaré qui ne finirent pas aux États-Unis) a profondément changé la façon dont nous comprenons l’univers. Pourtant, les gens sont plus susceptibles d’être convaincus qu’Einstein n’était pas un grand physicien que de changer d’avis sur des sujets comme l’immigration ou la peine de mort. Cela n’a rien à voir avec l’intelligence de cette personne (ou la qualité de l’information sur Einstein ou la politique d’immigration). Cela semble être surtout parce que nous sommes tout simplement plus ouverts à changer d’avis sur des sujets non politiques. Les chercheurs ont voulu comprendre pourquoi.

Une étude de l’Institut du cerveau et créativité de l’Université de Californie du Sud (Los Angeles) publiée dans Nature affirme que le cerveau (de cet échantillon) s’accroche à ses croyances politiques contre vents et marées !

Pour démontrer cela, 40 participants américains entre 18 et 39 ans, se décrivant eux-mêmes comme « libéraux » ayant « des opinions politiques solides », ont été soumis à un questionnaire où ils devaient évaluer la force de leurs opinions politiques telles que « l’avortement devrait être légal » ou « les impôts pour les riches devraient être augmentés » sur une échelle de 1 (faible) à 7 points (fort).

Puis les volontaires furent installés dans un appareil d’imagerie de résonance magnétique (IRM) qui va prendre des clichés de leur cerveau en fonctionnement alors qu’on les soumet à un petit jeu sournois. On leur projette, pendant 10 secondes, une des opinions politiques à laquelle ils ont adhéré totalement (entre 6 et 7 points). Puis s’affichent successivement, pendant 10 secondes également, cinq arguments provocants qui contrent l’opinion de départ, quitte à être mensongers. Par exemple, après l’opinion « Les États Unis devraient réduire leurs dépenses militaires » s’affiche l’argument « La Russie possède près de deux fois plus d’armes nucléaires actives que les États-Unis » [ce qui est faux, note du carnet].

À la fin de la session, l’opinion politique initiale réapparaît et le participant doit de nouveau l’évaluer en faisant varier le curseur de 1 à 7. L’opération est répétée avec huit opinions politiques différentes. Mais aussi avec des allégations n’ayant rien à voir avec le champ politique telles que « Les multivitamines quotidiennes sont bonnes pour la santé » ou « Thomas Edison a inventé l’ampoule ». Soumises elles aussi à des arguments contraires.

Après analyses des résultats, le bilan est sans appel : le cerveau [de cet échantillon] défend ses opinions politiques bec et ongles ! Après la lecture des contre-arguments, les opinions politiques perdent en moyenne 0,31 point de confiance, alors que les opinions non politiques perdent quatre fois plus. Pourquoi ? « Nous pensons que les croyances politiques sont liées à l’identité », commente Jonas Kaplan, auteur principal de l’étude, professeur adjoint de recherche de psychologie à l’Institut de cerveau et de créativité.

Cette explication, ils l’ont trouvée dans les images cérébrales. Lorsque le volontaire lit un argument politique contraire à son opinion, cela génère chez lui l’activation de ce qu’on appelle le « réseau cérébral du mode par défaut » — qui comprend entre autres le précunéus, le cortex cingulaire postérieur et le cortex médium préfrontal — un réseau impliqué dans l’introspection, l’identité et le soi.

Un réseau qui s’active dans une autre situation. « Sam Harris et moi avons précédemment fait une étude sur la base neurale de la croyance religieuse, poursuit Jonas Kaplan. Dans cette étude, nous avons constaté que lorsque les gens évaluaient les déclarations religieuses par rapport aux déclarations non religieuses, il y avait une activité accrue de deux zones du réseau cérébral, mode par défaut, activé lors de l’étude sur les opinions politiques. »

Les participants étaient nettement plus disposés à changer d’opinions non politiques

Un véritable système de riposte cérébral

Ce n’est pas tout. Lorsqu’on entend un argument qui va à l’encontre de ses croyances politiques (ce n’est pas le cas pour des croyances factuelles anodines), un véritable système de riposte cérébral se met en place. Les chercheurs ont, en effet, révélé l’activation de structures comme l’amygdale cérébrale (impliqué dans la peur face à la menace), le cortex insulaire et d’autres structures liées à la régulation des émotions. La mémoire aussi est activée, à la recherche de la contre-attaque.

En dernière analyse, « les croyances politiques sont comme les croyances religieuses, dans le sens où elles font toutes deux parties de qui vous êtes et importantes pour le cercle social auquel vous appartenez », souligne Jonas Kaplan. « Pour envisager un autre point de vue, vous devriez envisager une autre version de vous-même. » Très difficile donc. De quoi expliquer peut-être pourquoi les militants pour un parti demeurent souvent aveugles et sourds aux arguments des autres bords. Est-ce à dire que les débats politiques sont inutiles puisque chacun campe sur ses positions ? « Notre étude a en effet été motivée par le fait qu’il semblait rare de voir quelqu’un changer son opinion sur un sujet important dans le débat public », admet Jonas Kaplan. « Mais notre espoir est que si nous comprenons ce qui nous rend si résistants, nous pourrons utiliser cette information pour trouver des moyens de garder une flexibilité cognitive. »

Impact de l’échantillon ?

Étant donné que tous les participants avaient de fortes opinions « progressistes » (strong liberals), on ne sait pas à quel point ces résultats seraient généralisables pour les conservateurs, ou pour des gens aux opinions moins polarisées ou moins radicales.

Plusieurs études ont trouvé des différences structurelles ou fonctionnelles entre les cerveaux des conservateurs et des progressistes [1], [2]. Une différence particulièrement pertinente est la découverte d’un volume plus grand d’amygdale droite chez les conservateurs[3]. De plus, le conservatisme tend à être associé à une augmentation de l’évitement des menaces[4]. Les progressistes sont également les plus enclins à idéaliser la réalité et à ignorer la « déviance »[5].


Source : l’étude

[1] Amodio, D. M., Jost, J. T., Master, S. L. & Yee, C. M. Neurocognitive correlates of liberalism and conservatism. Nat Neurosci 10, 1246–1247, doi: 10.1038/nn1979 (2007).

[2] Zamboni, G. et al. Individualism, conservatism, and radicalism as criteria for processing political beliefs: a parametric fMRI study. Soc Neurosci 4, 367–383, doi: 101,080/17470910902860308 (2009).

[3] Kanai, R., Feilden, T., Firth, C. & Rees, G. Political orientations are correlated with brain structure in young adults. Curr Biol 21, 677–680, doi: 101,016/j.cub.2011.03.017 (2011).

[4] Jost, J. T. & Amodio, D. M. Political ideology as motivated social cognition: Behavioral and neuroscientific evidence. Motiv Emotion 36, 55–64, doi: 101,007/s11031-011-9260-7 (2012).

[5] Okimoto, Tyler G.; Gromet, Dena M., Differences in sensitivity to deviance partly explain ideological divides in social policy support. Journal of Personality and Social Psychology, Vol 111 (1), Jul 2016, 98–117, doi: 101,037/pspp0000080 Epub 2015 Nov 16. [résumé en anglais.]

Voir aussi

Étude — Plus on est « progressiste », plus idéaliserait-on ou nierait-on la réalité ?

Aucun commentaire: